Tout le monde accepte que pour combattre les changements
climatiques il faille réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les
lobbyistes ont compris cette tendance et tous incluent une touche verte dans le
déploiement de leurs images corporatives, souvent pour tenter de s’approprier
des subventions et crédits carbones alloués aux énergies propres. Avec le
temps, certaines faussetés ont été acceptées par tous, et même reprises et
appuyées par des organismes voués à la lutte contre les changements
climatiques.
Partons de la base, le cycle naturel du carbone.
Même si les processus chimiques impliqués sont
extraordinairement complexes et variés, le principe de base est simple :
Le monde végétal absorbe le CO2 de l’atmosphère et l’utilise comme une
composante de sa croissance. Cette biomasse est ensuite utilisée par tous les
éléments de l’écosystème, qui au final retournent une grande partie du carbone
capturé dans l’atmosphère.
Une portion significative du carbone capté par le monde
végétal est aussi fixé au sol et éventuellement fossilisé. C’est à partir de la
combustion de ce carbone fossilisé que notre société moderne c’est construite,
brisant ainsi en moins d’un siècle un équilibre biologique bâti sur des
millénaires.
Le constat est simple : Les diverses combustions de
carbone pour produire de l’énergie relâchent toutes du CO2 dans l’atmosphère.
Que ce soit du carbone capté il y a 6 mois par des plantes, il y a 50 ans par
des arbres, ou autrement il y a des millions d’années, le résultat est le
même.
Donc les bio-carburant ne sont pas carboneutre?
C’est ici qu’il faut compter avec précaution. Dire qu’un
bio-carburant est carboneutre parce que le carbone a été capté il y a 6 mois
est un sophisme, mais certain bio-carburant pourraient effectivement être
carboneutre.
Notez que les exemples qui
suivent sont totalement fictifs et ne servent qu’à imager les calculs requis.
Considérons diverses hypothèses de capture du carbone par
unité de surface, par exemple un kilomètre carré :
-
Une forêt mature pourrait capter 300 tonnes de carbone par an,[i]
une grande partie du carbone est réutilisée dans l’écosystème, et une partie
est capturée de façon définitive pour éventuellement être fossilisé, disons 10
%, ou 30 tonnes.
-
Un champ de culture A capte 130 tonnes de carbone par an.
-
Un champ de culture B capte 100 tonnes de carbone par an.
-
Un champ de culture C capte 70 tonnes de carbone par an.
-
Un terrain semi-désertique D capte 10 tonnes de carbone par
an.
Première constatation, déboiser une forêt pour cultiver des
plantes destinées aux bio-carburants ne sera jamais une stratégie gagnante par
rapport aux émissions de GES. C’est encore plus évident si le déboisement se
fait par brûlage, les milliers de tonnes de CO2 envoyés dans l’atmosphère ne
seront jamais compensées.
Supposons que le champ de culture B représente une
exploitation agricole moyenne. Le produit (fruits, graines…) est utilisé pour
l’alimentation, et le reste est retourné à la terre. La biodiversité étant plus
limité qu’en forêt, une proportion plus importante des résidus restent fixés au
sol, disons de 15 à 20 tonnes par an.[ii]
Si l’exploitation agricole se fait à partir d’énergie fossile (C’est presque
toujours le cas) l’utilisation d’énergie produira 5 à 15 tonnes de CO2 par an. Nous avons donc à priori une
exploitation agricole au minimum carboneutre.
Supposons maintenant que les fruits de ces même champs de
culture soient destinés à la production de bio-carburant. Même si la culture
est carboneutre, le produit doit être transformé pour devenir du carburant, et
si le produit est du diesel, sa combustion produit autant de GES que le même
carburant provenant de source fossile. Ce bio-diesel doit donc payer la même
taxe carbone que le diesel standard puisque son bilan carbone est identique.[iii]
Si la transformation de la biomasse se fait par le biais
d’énergie propre, cette portion pourrait être sujette à des crédits carbones,
au même titre que du pétrole brut qui serait distillé via de l’énergie propre.
Si les plantes utilisées pour la production de biocarburant
capture beaucoup plus de carbone, disons comme le champ de l’exemple A. Il est
alors logique de penser qu’il y aura une quantité plus importante de carbone
qui sera fixé au sol de façon permanente. Nous passons alors à une capture de
19 à 26 tonnes par an, une amélioration de 4 à 6 tonnes. Si la transformation
de la biomasse utilise une énergie qui produit 2 tonnes de CO2, et que le bio
carburant résultant en produit 10 à 15, nous avons un bilan global d’émission
plus faible que celui d’un carburant d’origine fossile. Une certaine quantité
de crédits carbones seraient applicables. Avec des plantes très productives et une
transformation utilisant de l’énergie propre, le carburant pourrait même être
carboneutre.
Inversement, si les plantes utilisées pour produire du
carburant capturent moins de CO2 qu’une exploitation agricole moyenne, disons
comme notre exemple C, le bilan carbone devient très mauvais, et une surtaxe
devrait être appliquée au produit final.
Le cas des biocarburant de deuxième génération doit
être analysé avec une grille de calcul similaire. L’avantage premier de cette
méthode est une production agricole qui n’est pas en compétition avec la
production alimentaire, seul les résidus étant utilisés pour produire les
biocarburants. Le second avantage notable, c’est qu’il y a possibilité d’une
plus grande capture de carbone car beaucoup moins de biomasse est retournée à
la terre.
Les inconvénients sont par contre de tailles : - Les
résidus étant moins riches en énergie potentielle, une beaucoup plus grande
quantité de matière première doit être asséchée et distillée pour produire les
biocarburants. Ceci implique donc beaucoup plus d’énergie de transformation. –
Comme peu de biomasse est retournée à la terre, le besoin de fertilisant est
sensiblement augmenté, avec la consommation d’énergie qui doit y être associé.
– Les besoins en énergie requise pour la transformation rendront très tentante
la production de chaleur par combustion des résidus secs produits. Ce carbone
résiduel est très stable et peut être retourné à la terre sans contribuer à la
production de GES, mais sa combustion annulerait toute chance d’un bilan
carbone utile.
Est-il nécessaire d’ajouter que la production de chaleur par
combustion du bois ou des résidus agricoles séchés n’est pas carboneutre, et
encore moins la production de carburant à partir de déchets.
Un biocarburant carbo-négatif est il possible?
Il est possible d’augmenter de façon dramatique la capture
de carbone. Il faut simplement transformer une terre aride, comme notre modèle
D, en un lieu de culture productif, voire intensif. Pour que cette action soit
nettement carbo-négative, il faut que l’énergie utilisée soit sans émission de
GES, quelques exemples :
-
Une zone désertique est irriguée via du pompage éolien.
-
Des serres de culture sont implantées en milieu nordique, le
chauffage requis est solaire.
-
Des serres de culture en 3D fonctionnant principalement à
partir de la chaleur et des surplus (la nuit) d’électricité des centrales
nucléaires.
Quelles activités devraient profiter des crédits
carbones :
-
La production de biocarburant est utile pour les pays ayant
peu de ressources naturelles, mais son utilisation doit être taxée au même
niveau que celui des énergies fossiles équivalentes. Par contre, tout ce qui
améliore la capture du carbone en amont doit être supporté par des crédits, en
particulier les serres de culture nordique et 3D qui favorisent aussi la
sécurité alimentaire et la culture de proximité.[iv]
-
La production de ciment émet des quantités importantes de CO2
et doit être taxée en conséquence, mais inversement, les constructions en bois
assurent une séquestration carbone efficace et devraient recevoir des crédits
dans ce sens.
-
Il ne faut pas confondre énergie propre et énergie sans
émission de GES. Le gaz naturel est mille fois plus propre que le charbon et il
doit être favorisé partout où c’est possible, mais si on calcule les fuites
furtives de méthane, il ne comporte aucun avantage par rapport aux émissions de
GES.
-
Inversement, l’énergie nucléaire ne peut pas être considérée
comme propre par rapport aux embarrassants déchets qu’elle produit, mais n’en
déplaise aux écologistes, elle est sans émission de GES et devrait être
supportée massivement par des crédits carbones.
-
L’automobile électrique doit être supportée par des crédits là
où l’électricité et propre, mais pas lorsque celle-ci provient du charbon ou du
gaz.
-
Dans beaucoup de cas, la co-génération produit des réductions
significatives de GES qui justifient des crédits carbones importants.[v]
[i] Entre une
forêt boréale et l’Amazonie, le captage de carbone peut varier d’un facteur de
dix pour un. Tous ces chiffres sont fictifs.
[ii] Une autre
partie des résidus restera au sol pour une période prolongé, mais non
permanente. Si ces résidus perdurent le temps de quelques récoltes, il y a une
capture de carbone cumulative qui peut rendre l’exploitation agricole plus
carbo-négative.
[iii] Un
gouvernement peut choisir de subventionner les bio-carburants dans un contexte
d’autonomie énergétique, mais il ne doit pas utiliser la taxe carbone pour
soutenir cette politique.
[iv] Les
importantes sécheresses qui frappent actuellement la Californie, et
précédemment le centre des États Unis, sont des avertissements à ne pas
négliger.
[v] Voir un
article sur ce sujet :
http://www.wind-can-do-it.blogspot.ca/2014/06/reduire-les-emissions-de-gaz-effet-de.html
[vi] Cette discussion demeure très théorique. Pour qu’une taxe carbone ait une influence significative sur le réchauffement global, il ne faut pas émettre des droits, mais bien taxer 100% des émissions à la source. Cela n’arrivera pas à brève échéance.