Si vous pensez que cet article s’applique à RER Hydro,
vous n’avez pas tout à fait tord, mais c’est aussi le cas de centaines d’autre
start-ups, très souvent dans l’énergie propre.
Commençons par une anecdote : Dans une exposition sur
les énergies renouvelables, un groupe d’entrepreneurs propose d’enchâsser des
cellules photovoltaïques dans les fenêtres d’édifices commerciaux. Je mentionne
que leur concept est peu prometteur car ces cellules ne seront presque jamais
dans un angle efficace par rapport au soleil. On me répond que ce n’est pas
dramatique car leurs cellules vont aussi fonctionner la nuit, en utilisant
l’éclairage intérieur des bâtiments. Je mentionne que l’électricité produite
sera négligeable, et l’on me réplique encore que ce n’est pas grave, cela
marche car l’aiguille bouge.
Cet exemple un peu extrême veut mettre en relief une
chose : Ce n’est pas parce que ça marche qu’il y a un modèle d’affaire.
Voir la note sur cet image |
Bien que cette remarque puisse s’appliquer à toutes sortes d’entreprises,
les exemples les plus remarquables sont souvent liés à la production d’énergie
propre. La raison en est d’ailleurs fort simple, le start-up qui réussira à
produire de l’électricité sans émission de GES en étant compétitif sans
subvention s’ouvrira des niches de marché colossales.
Le problème c’est que beaucoup d’investisseurs de tous les
niveaux se font prendre par l’attrait de beaux gadgets, et se brûle les doigts.
Le phénomène peut même prendre des proportions dramatiques s’il y a interventions
politiques et subventions.
Un indice qu’il y a anguille sous roche dans le modèle
d’affaire d’un projet, c’est lorsque l’information chiffrée est inexistante ou
extrêmement vague. Par exemple : ‘Notre coût de production de
l’électricité est comparable à celui d’autres formes d’énergies renouvelables!’
Parle t’ont d’hydroélectricité patrimoniale à 2 cents par KWh, ou d’éolien
offshore à 20 cents?
Les calculs de base
Les calculs associés au coût
de production de l’électricité propre sont relativement simples, mais ils
nécessitent d’inclure tous les détails. Comme le coût de la matière première
est nul (eau, vent, soleil…), le coût de production de l’électricité se résume
à cette simple formule :
Coût d’opération annuel / KWh produit annuellement = coût par KWh
Pour illustrer notre démonstration, nous allons voir quels
seraient les éléments qui devraient être pris en compte dans le projet
d’hydrolienne québécoise RER Hydro. (Sans émettre d’opinion sur un projet qui
est possiblement très valable.)
Le coût annuel
Il faut débuter avec le coût d’installation. Il y a
premièrement le coût à la sortie de l’usine, qui peut varier du simple au
double si la production est de deux unités par mois, ou de deux cents. (Pour
utiliser le second coût, il faut être raisonnablement sûr que le marché
permettra d’écouler ces 200 unités à tous les mois pendant 15 ans ou plus.) À
ceci l’on ajoute le transport, les frais d’aménagement du site (Fondation,
dragage….), les frais de mise en place (Location de navires et de main d’œuvre
spécialisés), les coûts de câblage, de l’électronique de puissance, du
raccordement au réseau, et les autre frais indirects comme les études, les
permis, les audiences publiques, etc…
Le total de ce coût d’installation doit être amorti sur la
durée de vie du produit. Cet élément du calcul est crucial. Par exemple,
Hydro-Québec amorti ses barrages sur 120 ans, ce qui est réaliste, par contre
les éoliennes doivent être amorti sur 20 ans, car leurs durée de vie utile
n’est pas beaucoup plus longue. Pour les hydroliennes, une durée de vie moyenne
de 50 ans serait idéale.
Les autres éléments du coût d’opération annuel sont :
Le coût du capital (principalement les intérêts), les frais d’entretien
(préventif et bris), la main d’œuvre d’opération et les frais généraux.
Pour des hydroliennes, il y a peu de frais d’opération, et
le calcul des frais reliés au capital est simple. En considérant qu’il faut
retirer les appareils de l’eau pour chaque entretien, il faut prévoir le coût
d’extraction d’un appareil pour réparer un bris, et le coût des entretient
préventifs où toutes les hydroliennes seront émergées pour changer soit les
turbines, les génératrices, les joints d’étanchéité…. Une prévision d’entretien réaliste doit être proposée pour la durée de vie des appareils.
La production annuelle d’électricité
C'est là qu'il y a le plus souvent exagération avec les
start-ups en énergies renouvelables, dans l’évaluation de la production
annuelle d’énergie.
Par exemple, dans une zone jouissant d’un ensoleillement
annuel de 2,000 heures, un panneau de 1,000 watts ne produira pas 2,000 KWh par
an, mais 1,000 à 1,200 s’il est parfaitement positionné, sans ombrage et bien
entretenu. Avec un angle approximatif sur le toit d’une maison urbaine, 8-900
KWh, encore moins s’il n’est pas nettoyé régulièrement.
Le nouvel éolien souffre aussi de toutes sortes
d’abus : Puissance nominale basé sur des vitesses de vent non standard,
appréciation exagéré des innovations (Il n’est pas possible d’augmenter de plus
de 5 ou 10% le rendement des éoliennes géantes, c’est une loi de la mécanique
des fluides.), courbe de puissance non réaliste (et surtout non vérifié), etc…
Pour les hydroliennes, elles sont soumises aux même lois
physiques que les éoliennes. Si les puissances déclarées dépassent 50% de
l’énergie cinétique incluse dans l’eau à ces même vitesses, il y a fabulation.
Il faut aussi s’assurer que, comme l’éolien, la puissance nominale déclaré
n’est pas en relation avec des courants d’eau inexistants ou très rares. Par exemple,
si la puissance nominale est associé à un courant de 4.5 m/s, l’appareil ne
produira que le huitième de cette puissance dans un courant (déjà très rapide)
de 2.25 m/s. Finalement, il faut aussi être conscient que tous les fleuves et
rivières ont des cycles annuels de débit associés aux saisons. Un site peut
donc jouir d’un débit d’eau de 4-6 m/s au printemps et passer sous les 2 m/s le
reste de l’année.
Les facteurs de réduction de coût
Pour l’instant, aucune nouvelle installation de production d’énergie
propre ne peut être rentable sans subventions. Quel que soit le modèle choisi,
toutes ces subventions sont sujettes aux aléas politiques, ce qui refroidi
l’intérêt des investisseurs qui cherchent des modèles d’affaires viables à
long-terme.
Pour l’hydrolienne de rivière, cet aspect est critique car
il n’existe pas de programme de support spécifique pour ce produit. Ceci est un
obstacle tangible pour obtenir un financement important. Si le modèle d’affaire
prouve que l’énergie produite coûtera entre 3 et 6 cents par KWh sans
subvention, l’entreprise pourra recevoir divers appuies publics qui
favoriseront son financement. Si par contre les coûts de l’électricité produite
sont entre 10 et 20 cents par KWh, il est peu probable que de nouveaux programmes
de subventions soient développés, les gouvernements ayant déjà assez de
problèmes à justifier leurs supports aux énergies éolienne et solaire.
La compétitivité dans un marché colossal
En faisant abstraction des règlements et subventions, les
électricités éolienne et solaire sont peu attrayantes dues à leurs
intermittences et leurs productions asynchrones avec la demande. Dans un libre
marché, leurs valeurs seraient d’à peine plus de 50 ou 60% de l’énergie
modulable concurrente la moins chère.
L’énergie des hydroliennes de rivière aurait une meilleure
valeur puisqu’elle serait disponible en tout temps et ses variations
saisonnières parfaitement prévisibles.
Dans tous ces cas, une taxe carbone significative, de
l’ordre de 40 ou 50$ la tonne de CO2, permettrait un développement d’affaire
stable pour les divers producteurs d’énergies propres. Une bourse d’échange des
émissions de GES qui aura cette force nécessitera un consensus international
qui ne verra pas le jour avant une ou deux décennies.
Conclusion
Les anges financiers, VCs et autres investisseurs
stratégiques auraient avantage à être beaucoup plus exigent sur les détails du
modèle d’affaire des start-ups proposant des nouvelles technologies. Il faut
que la présentation de base soit claire sur les objectifs financiers et les
avantages compétitifs, et que celle-ci soit supportée par une documentation
détaillée disponible dès les débuts d’une négociation d’affaire.
Le travail de démonstration du modèle d’affaire doit donc
faire parti très tôt du processus de développement d’une nouvelle entreprise,
ne serais-ce que pour ne pas investir temps et argent dans un concept sans
avenir.
Voici un exemple de document décrivant bien le modèle
d’affaire associé au développement d’un nouveau produit :
Vous y noterez entre autres que l’évaluation de l’élasticité
des variables principales peut aider à fixer les objectifs de développement et
d’optimisation d’un projet.
Note sur l’image : Des millions de dollars ont
été investis pour développer ces serpents de mer. Aujourd’hui ceux-ci rouillent
tranquillement quelque part en mer du Nord, beau gadget sans modèle d’affaire
viable.